Marie-Laure DUPONT
marie laur!!
LES ENFANCES ENSANGLANTEES
Interminable enfance, séquencée, rayée de cris, vouée aux plaisirs, aux corps dérivés, où pas et danses comptent autant que chuchotements, inqualifiable enfance aux couleurs vives des pages d’un livre, déchirée puis recousue, inlassablement précipitée. L’univers de Marie-Laure Dupont se déploie selon les aléas d’une navigation heurtée, les installations, les images, les photographies aspirent à rassembler ce qui se disperse, se brise. Comme s’il s’agissait de rendre compte violemment des vestiges après que les tempêtes aient soulevé trop de poussière, après que le vent ait entraîné dans sa course les chants si chers, après que le sang ait servi de fard unique. Car l’œuvre entretient un rapport particulièrement vif au langage comme au passé, au souffle, à ce miracle sans doute d’être en vie, coûte que coûte. En sachant qu’aucune paix n’est possible, qu’il nous faudra feuilleter toujours les images de l’animalité, du jouet, de la poupée. Et des ruines.
La lumière noire qui est parfois sollicitée offre une densité
qui nous met à l’épreuve du temps et du réel. Peu à
peu l’œil recompose une grammaire troublée par des mouvements contradictoires,
entre le rêve et le cauchemar, l’apparition et une silhouette précisée,
la figure peut paraître bancale, successivement nous saisissons une couleur,
violemment fluorescente, puis une trace qui pourrait dangereusement se confondre
avec la nuit et qui provoque le trouble, une ambiguïté même,
un vertige. Des cendres persistantes semblent trahir nos yeux, des fantômes
se soulèvent. Ce voyage pourrait tout aussi bien devenir celui d’une
perdition comme d’une accessibilité à un autre monde. Nous traversons
des régions abondantes qui auraient perdu leur matière, leurs
épaisseurs, des régions voilées.
La projection et lutilisation du film soulignent cet attachement incessant à un corps qui prend toutes les formes de léloignement. Les images sont des fragments de gestes ou dactions, des ondes. Enveloppées détoffes, ces images pénètrent lesprit comme des hallucinations, le son pliant limage comme sil sagissait de brouiller plus fortement les pistes, les repères. Tels des aventuriers dans lHadès, nous sommes condamnés à errer, infiniment, à la recherche dun corps expérimental. Sang, incendie, ténèbres, les fleurs underground séduisent, leur bouquet parfumé sollicite nos sens, nous transporte et nous déporte. Marie-Laure Dupont a brodé des morceaux de lumière. Sa pelote vibre et dessine des abstractions.
Ailleurs, sur une table, nous surprenons lartiste occupée à coudre une véritable tête de lapin sur un corps dours. Louvrage de dame vire à une opération dérangeante, décalée et gonflée. On entend le son dun cur qui bat. La monstruosité maintient cette chirurgie audacieuse.
Marie-Laure Dupont sème la terreur tout en conservant une candeur quil me plaît dimaginer plus vigoureuse que jamais. Cette candeur bâtit en effet des équilibres, je ne me sens pas perdu dans cette forêt de signes, de couleurs, de traits et de curs saignés. Au contraire, si tout à lheure je risquais de me dissoudre ou brûler, je renais, jéchappe au massacre. Et malgré la mort qui rôde, omniprésente, souveraine et dressée comme une peluche, je mengage dans le jardin cher à Jorge Luis Borges, labyrinthique, enchanté, extraordinaire. Jai limpression que la mort me sourit, quun talon claque presque joyeusement dans le sentier pavé tout à lheure des plus mauvaises intentions et maintenant apaisé. Un parfum capiteux séchappe dun corps bleu vêtu dune robe rose, une bouche minuscule murmure des mots turquoises, avant que le rideau ne se referme je devine un pli léger des lèvres qui adhèrent aux miennes, les coutures ont pris laplomb des cendres.
Pierre Giquel, le 30 avril 2015